
Par Aline, une infirmière qui souhaite garder l’anonymat
Je me présente, je suis infirmière en Ehpad, et je tenais à faire part de ce que nos aînés vivent au quotidien dans ces maisons de santé.
Commençons déjà par mon parcours je suis jeune diplômée depuis mars 2018 et dans mon projet professionnel, j’ai fait le choix de travailler en Ehpad pour aider les personnes âgées.
Pendant mes études qui ont duré 3 ans, je peux vous dire que j’en ai vu et entendu des vertes et des pas mûres. Pour pouvoir être multicompétents, notre institut de formation qui se nomme l’IFSI (Institut de Formation en Soins infirmiers) nous envoie sur différents lieux de stages durant ces 3 années. Périodes de stage entrecoupées de cours théoriques menés la plupart du temps par des intervenants extérieurs qui sont : médecins spécialistes, psychologues, psychiatres, professeur de philosophie, professeur de biologie, des infirmiers venant de certains services hospitaliers et enfin, nos formateurs qui sont tous des cadres de santé.
En voilà du beau monde me direz-vous.
1er stage et déjà les premières désillusions, nous voilà intégrés dans les services de santé avec pour unique arme nos 1res connaissances théoriques apprises quelques semaines plus tôt. Je comprends très vite qu’entre ce qu’on nous apprend sur les bancs de l’IFSI et la réalité ce n’est pas un fossé, mais un gouffre.
…Pas assez de temps…
Les professionnels de santé qui nous reçoivent en stage manquent cruellement de temps pour faire du tutorat et comme en 1re année on ne sait rien faire ; alors moi, la jeune infirmière j’endosse malgré moi le costume du boulet, je suis un boulet dans un service de soin. De plus, ce n’est pas un seul, mais parfois 4 stagiaires en même temps qui se retrouvent dans le service, je ne vous raconte pas l’horreur, il faut la vivre pour le croire.
Bref, je finis par m’habituer à la place très inconfortable du stagiaire. Je sais pertinemment que dans 3 ans ce sera à mon tour d’accueillir les nouvelles et nouveaux, alors autant essayer de faire du mieux possible pendant mes études pour récupérer un maximum de connaissances et de savoir-faire afin d’aider les futurs professionnels dans la bienveillance et non dans la maltraitance. (À ce jour je ne connais pas d’autres formations aussi inhumaines que celles liées aux métiers du soin.) Mais il y a tellement à dire et pour aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur nos aînés.
Finalement, arrive enfin le St Graal, le diplôme tant attendu, le sésame pour pouvoir exercer. Ah bah non j’oubliais, maintenant il faut aussi s’inscrire et cotiser à l’ordre national infirmier, ils ont rendu ça obligatoire en 2018.
l’infirmière, le nouveau couteau suisse de l’administration sanitaire
J’en viens maintenant à mon projet professionnel, car oui, tous les infirmiers ne sont pas faits pour aller partout, même si l’IFSI veut nous transformer en couteau suisse.
Nous avons tous des domaines de prédilections. Le mien c’est de prendre soin sur le long terme des personnes âgées, et bousculer l’image de mouroir qu’ont les Ehpad.
Donc depuis mars 2018 je travaille dans ce type de structure. Alors je ne vais pas vous dire que c’est facile tous les jours surtout durant les premières semaines d’exercice, car là on se prend toutes les responsabilités en pleine face. Ah oui en Ehpad, l’infirmière est souvent seule pas de médecin sous la main qui traînerait dans les couloirs, donc c’est à nous de déceler et de gérer les éventuelles urgences.
Quand on arrive, on ne connaît pas le dossier des résidents par cœur avec les pathologies et les traitements qu’ils peuvent avoir, donc, autant vous dire que je n’ai pas compté mes heures pour pouvoir être opérationnelle et fiable le plus rapidement possible. Et encore si les responsabilités restaient sur ce plan, ça irait, mais tenez-vous bien. Nous sommes également responsables de nos équipes et en gros, on fait fonction de cadre de santé, mais sans nous le dire vraiment et ça on ne l’apprend pas à l’école non plus. Les week-ends, c’est là que nos compétences de parfait couteau suisse se mettent en action et oui pas d’homme d’entretien donc quand il y a un hic, on demande à l’infirmière d’intervenir et les plombs sautent, une barrière de lit qui ne tient plus, sans oublier le reste, j’en passe et des meilleures. Vous vous demandez sûrement quel temps est consacré à nos résidents, en ce qui me concerne très peu, à mon grand désespoir. Les personnes qui sont le plus en relation avec eux sont les aides-soignantes sans elles, je ne sais même pas comment on pourrait s’occuper de tout. Car oui, maintenant les infirmières sont des bureaucrates, tout doit être tracé par l’informatique, nous devons gérer les renouvellements d’ordonnance en appelant les médecins traitants pour organiser les rendez-vous. Nous les assistons dans leurs visites également. Il faut prévoir les commandes de médicaments, consulter les bilans sanguins et repérer s’il y a des anomalies et le cas échéant, contacter le médecin traitant.
Répondre aux familles qui nous appellent pour avoir des nouvelles de leurs aînés. Et bien évidemment gérer les urgences et les fins de vie. Au final, s’il n’y avait pas au moins les prises de sang les traitements et quelques pansements, je ne verrais plus les résidents, il y en a d’ailleurs que je vois très peu quand ils sont encore autonomes, c’est rare que je sois sollicitée.
Partant de ce constat, j’ai voulu me démarquer de ce que j’ai pu apprendre. Je travaille en musique. J’ai ma petite enceinte et avec mon téléphone je lance mes différentes playlists en fonction du moment de la journée. Des musiques zen le matin à mon passage pour les 1ers traitements et ensuite la playlist évoluent en fonction de la journée et des résidents avec qui je vais passer un peu de temps. Bien entendu cela reste à un volume sonore minimum, mais maintenant ils savent qui travaille quand ils entendent la musique.
Ce n’est pas grand-chose, mais de voir leurs sourires à mon approche, je me dis que j’ai au moins réussi ça.
Dans ce qu’il y a de plus aberrant et sur quoi je n’ai pas de levier d’action ce sont les comportements de certains médecins et les réponses du 15.Pour les médecins, ce qui m’insupporte ce sont ceux qui ne veulent plus nous répondre passer 16 h, car ils ont bientôt fini leur journée. J’ai même eu une fois la secrétaire d’un médecin qui me dit :
- Vous auriez pu appeler plus tôt.
- Bah écoutez désolée la prochaine fois je demanderais au résident de ne pas aller bien le matin et surtout pas en milieu d’après-midi vu que ça vous dérange.
J’ai gardé le meilleur pour la fin. Et là, je vais sûrement en choquer plus d’un, mais c’est la réalité du terrain. Quand nous devons appeler le 15, car, le résident développe des symptômes qui ne peuvent pas être pris en charge simplement, la 1re question qu’on nous pose après son identité et son âge c’est son GIR.
Alors qu’est-ce que c’est que le GIR ?
Le GIR, c’est le niveau de dépendance qui permet d’accorder à un établissement des financements supplémentaires. C’est une échelle qui va de 1 à 6.
GIR 1 ce sont les personnes les plus dépendantes celles qui vont nous demander le plus de temps pour les prises en soins, celles qui malheureusement ne peuvent plus rien faire à part regarder le temps qui passe et attendre que la mort les libère.
Et le GIR 6, c’est pour une personne qui va être complètement autonome. Autant vous dire que des GIR 6 en Ehpad, c’est très rare et c’est tant mieux.
Mais ce que je ne conçois pas c’est que peu importe le niveau de GIR toute personne doit pouvoir bénéficier de soins.
Attention, comprenez bien que je ne parle pas d’acharnement thérapeutique, mais d’accompagnement thérapeutique.
Aujourd’hui je trouve inadmissible de laisser une personne souffrir.
On nous prône la fin de vie digne pour tous, mais on en est encore loin.
Il y a tellement de choses à dire sur ce qui se passe dans les Ehpad que je réécrirais sans doute des billets par thèmes pour vous aider à comprendre notre quotidien à tous dans ces structures. D’ailleurs le prochain sera probablement sur ce qui s’est passé pour eux pendant cette crise du COVID. Mais je souhaitais dans un premier temps vous permettre d’entrer lentement dans mon univers.
Je vais à présent terminer par une note d’espoir. Aujourd’hui j’ai envie de faire encore mieux, mais pour pouvoir faire mieux, je dois sortir du système et créer ma propre structure. C’est d’ailleurs ce que j’envisage de faire et voici ma vision des choses pour l’avenir de nos aînés. Je souhaite trouver une maison qui pourrait accueillir 6 personnes. Autour de cette maison, il y aura un jardin qui permettra d’accueillir des poules et un espace potager. Je souhaite que les personnes qui s’installeront dans cette maison viennent avec leurs animaux de compagnie. Comme je suis infirmière, je peux être garante de leurs soins et leur accès aux soins. Je serais là pour les aider à vivre une fin de vie digne et surtout comme ils l’entendent. J’aimerais pouvoir les emmener en vacances, que mes enfants soient également présents les mercredis quand il n’y a pas école et les week-ends. Car, nos anciens sont comme les livres ils ont tellement de choses à nous transmettre. Mais dans nos sociétés actuelles, ils n’ont plus la place qu’il leur ait due. Je trouve cela dommage et je ne veux pas que mes enfants passent à côté des héritages de connaissances qu’ils peuvent nous apporter. En somme, j’aimerais recréer un noyau familial où il fera bon vivre, ça prendra du temps, mais je sais que je mènerais ce projet à bien.
Aline de…
Un grand MERCI Aline ! Que dire d’autre :o)
Témoignage très émouvant.Aline est une très belle personne
Magnifique témoignage ?
Bonjour Aline.
C’est bien vrai !
J’ai été 3 ans président du conseil de vie sociale dans une EHPAD ; quelle honte.
On m’a demandé de renouveler mon mandat. j’ai préféré m’échapper de cet enfer.
Roger-Jouvence.
Merci infiniment Aline pour ce rapport , encore en – dessous de la réalité . Ancienne infirmière , j’ ai parcouru la France et les EHPAD . Le sort de nos vieux n’ est pas enviable . Ils ne sont ni accueillis , ni entourés , pas même nourris ( cf coût des repas lissés sur la journée … ), voire hydratés . Lors de mon dernier remplacement , j’ ai pu constater qu’ on ne leur remettait pas de carafe d’ eau dans leur chambre . Ainsi le personnel ne perd pas de temps à la distribution des contenants et contenus !!! Les résidents sont gavés de pilules , gélules ou autres pour enrichir les laboratoires , et les abrutir aussi . J’ ai hâte de lire la suite de votre parcours . Bon courage , non pour le travail , mais pour faire face aux conditions inhumaines tant pour les résidents ( ou patients ) que pour le personnel .
si seulement cet élan pouvait faire boule de neige
Bravo à vous Aline, votre témoignage est très émouvant! J’espère que vous pourrez réaliser votre projet et j’aimerai sur la fin de ma vie avoir une soignante comme vous à mes côtés……
Mouais , édifiant et courageux mais croyez moi cette pauvre Aline est une perle rare parmi les soignants . Les médecins eux ne sont là que pour faire du fric ainsi que ceux qui gérent les EHPAD .Les juges de tutelle et les médecins hospitaliers sont de mèche pour faire tourner la machine à voler ces pauvres gens car le pris des non -soins qui leur sont dispensés au compte goutte ( sic ) est tout bonnement prohibitif .Regardez le film ” I CARE A LOT ” sur Netflix et vous aurez une image de ce que peut faire l’esprit de lucre quand il s’applique à la santé . EN France le scandale est double car les gens ont cotisé toute leur vie pour un système qui va finir par ruiner leurs familles et qui profite à des semi fonctionnaires aussi rapaces qu’inhumains .
MERCIIIIIII, soyez bénie Aline, ma mère est partie en Avril dernier pendant le confinement, perf de midazolam et de morphine, mis en place le 26/03 , décret couvrant les médecins le 28/03. Elle n’était pas en bonne forme suite à un cancer détecté 2 ans auparavant( refus de matraquage par hormonothérapie )mais sans visite plus d’échange d’énergie positive, J’ai vite compris qu’il n’y avait plus de retour !!!!!! tout a été fait sans concertation, ils ont été soulagés de toute demande aux familles. L’euthanasie d’Attali largement appliquée. Le futur sera différent, CONFIANCE.
Merci Aline,
ce témoignage est édifiant ! Je vous souhaite de pouvoir réaliser ce beau projet. Vous pourriez peut-être envisager une “cagnotte” pour pouvoir démarrer. Mais je pense que vous y avez déjà songé…
Bon courage à vous !
à lire Aline et à vous lire tous, je verse une larme… je n’ai pas eu la chance de connaître mes grands-parents, mais je sais que les Anciens sont la mémoire et la richesse de l’Humanité… sans compter qu’ils ont travaillé ou participé toute leur vie à la société, et qu’ils ont droit au respect et aux soins, comme tout être vivant ! Il n’est donc pas étonnant que les vilains, qui dirigent tout, organisent leur maltraitance pour accélérer leur départ. Ce qui me navre aussi, c’est que tous (à part quelques Alines) détournent le regard, familles comprises, et abandonnent les nôtres, s’en débarrassent. Je souhaite que le futur que nous créerons soit digne de l’Humanité, et des Anciens, et des enfants qui n’ont pas de meilleur sort dans cette civilisation de dégénérés. Les vilains ont réussi jusqu’à présent : tant que vous êtes un adulte “actif” (qui rapporte donc du pognon à son entreprise-Etat), tant que vous pouvez consommer-rapporter, vous être pris en compte (oh, juste comme des esclaves lucratifs, pas plus). En-dehors de cela, vous n’êtes RIEN pour les vilains, vous ne valez rien. Les peuples ont accepté que le pouvoir maltraite la Vie, et aujourd’hui, qu’il a décidé de l’exterminer, que faisons-nous ? que faites vous ? vous croyez ses mensonges et vous portez le masque ? si l’Humanité est inhumaine et stupide, elle ne gagnera pas le droit de vivre. qu’on se le dise. Pour finir, merci Aline. Peu de soignants ont le courage de dire la vérité et d’agir. pareil pour les journaliste, les juristes, et toutes les professions. Les lâches sont légions, croyant sauver leur misérables quotidien. mais en vérité, je vous le dis, ceux-là n’en réchapperont pas.
Merci pour ce beau témoignage ma chère Aline… infirmière à tes côtés depuis 2018, je partage pleinement tout ce que tu nous exposes. Et comme tu le dis si bien, c’est un bref aperçu de notre réalité au quotidien… vivement que ce projet se concrétise que nous puissions prendre soin de nos résidents autrement!!!!
Hâte de te lire à nouveau!!! Dieu sait à quel point tu es une belle personne! Merci pour tout ce que tu fais/es !